La thrombopénie immunitaire est un trouble hémorragique habituellement sans anémie ni leucopénie. Il est habituellement chronique chez l'adulte, mais habituellement aigu et de régression spontanée chez l'enfant. La taille de la rate est normale en l'absence d'une autre maladie sous-jacente. Le diagnostic est habituellement clinique, basé sur l'exclusion d'autres causes de thrombopénie (p. ex., infection par le VIH et hépatite C). Le traitement comprend les corticostéroïdes, la splénectomie, les immunosuppresseurs, les médicaments agonistes des récepteurs de la thrombopoïétine ou le fostamatinib, un inhibiteur de la tyrosine kinase splénique. En cas d'hémorragie engageant le pronostic vital, la transfusion de plaquettes, les corticostéroïdes IV, les IgIV anti-D ou les IgIV peuvent être utilisés de façon individuelle ou en association.
(Voir aussi Revue générale des troubles plaquettaires.)
La thrombopénie immunitaire est habituellement liée à l'apparition d'un anticorps dirigé contre un antigène plaquettaire de structure (un auto-anticorps). Ces anticorps antiplaquettaires entraînent une augmentation de la destruction des plaquettes, habituellement dans la rate, et une inhibition de la production et de la libération des plaquettes par les mégacaryocytes.
Dans le purpura thrombopénique immunitaire de l'enfant, l'auto-anticorps peut être déclenché par un antigène viral. Le déclencheur chez l'adulte est inconnu, bien que dans certains pays (p. ex., le Japon, l'Italie), la thrombopénie immunitaire ait été associée à l'infection par Helicobacter pylori et le traitement de l'infection ait été suivie de la rémission de la thrombopénie immunitaire (1).
L'infection par COVID-19 provoque rarement une thrombopénie immunitaire, mais la vaccination contre le COVID-19 peut aggraver la thrombopénie en cas de thrombopénie immunitaire, certaines études signalant une diminution de la numération plaquettaire dans environ 6% des cas (2). La thrombopénie immunitaire a tendance à s'aggraver pendant la grossesse et augmente la morbidité maternelle.
Références générales
1. Kuter DJ: The treatment of immune thrombocytopenia (ITP)—focus on thrombopoietin receptor agonists. Annals of Blood Volume 6 March 2021
2. Visser C, Swinkels M, van Werkhoven ED, et al: COVID-19 vaccination in patients with immune thrombocytopenia. Blood Adv 6(6):1637–1644, 2022. doi:10.1182/bloodadvances.2021006379
Symptomatologie de la thrombopénie immunitaire
Bien que souvent asymptomatiques et identifiés uniquement par une numération plaquettaire basse sur un test de routine, lorsqu'ils sont présents, les symptômes et les signes de thrombopénie immunitaire comprennent les suivants
Pétéchies
Purpura et/ou ecchymoses
Hémorragies muqueuses
Saignement menstruel augmenté
Fatigue
Dysfonctions cognitives
Une hémorragie gastro-intestinale massive et une hématurie sont des complications moins fréquentes. La rate est de taille normale, elle augmente en cas de coexistence d'une infection virale ou d'anémie hémolytique auto-immune (syndrome d'Evans). Comme pour les autres troubles qui comportent une destruction accrue des plaquettes, la thrombopénie immunitaire est également associée à un risque accru de thrombose.
Les pétéchies sont caractérisées par de petites taches rouges comme on le voit ici au niveau du palais de ce patient.
DR P. MARAZZI/SCIENCE PHOTO LIBRARY
By permission of the publisher. From Deitcher S. In Atlas of Clinical Hematology. Edited by JO Armitage. Philadelphia, Current Medicine, 2004.
Les ecchymoses sont les grandes contusions violettes sur la jambe de ce patient.
DR P. MARAZZI/SCIENCE PHOTO LIBRARY
By permission of the publisher. From Deitcher S. In Atlas of Clinical Hematology. Edited by JO Armitage. Philadelphia, Current Medicine, 2004.
Diagnostic de la thrombopénie immunitaire
Numération formule sanguine avec plaquettes et frottis de sang périphérique
Rarement, myélogramme
L'exclusion des autres causes de maladies granulomateuses
La thrombopénie immunitaire est suspectée en cas de thrombopénie isolée (c'est-à-dire, de NFS et de frottis de sang périphérique normaux). Les manifestations de la thrombopénie immunitaire étant non spécifiques, d'autres causes de thrombopénie isolée reversibles (p. ex., médicaments, substances, alcool, troubles lymphoprolifératifs, autres maladies auto-immunes, infections virales) doivent être exclues par le bilan clinique et des tests appropriés. Habituellement, on pratique une étude de coagulation, un bilan hépatique, et des examens diagnostiques de l'infection par le virus de l'hépatite C et le VIH. Le frottis sanguin périphérique doit être revu pour vérifier la taille des plaquettes et leur granularité afin d'exclure d'autres causes majeures de thrombopénie telles qu'un purpura thrombotique thrombopénique, une thrombopénie héréditaire, et une leucémie. La recherche d'anticorps antiplaquettaires peut faciliter le diagnostic dans certains cas (1). La fraction plaquettaire immature peut être élevée dans la thrombopénie immunitaire lorsque la numération plaquettaire est < 50 000/mcL (< 50 × 109/L).
L'examen de la moelle osseuse n'est pas nécessaire au diagnostic mais est effectué si la numération sanguine ou le frottis sanguin révèle des anomalies en plus de la thrombopénie, ou si les caractéristiques cliniques ne sont pas typiques ou si le patient ne répond pas aux traitements standards (p. ex., corticostéroïdes). Dans la thrombopénie immunitaire, le myélogramme montre un nombre normal ou éventuellement augmenté de mégacaryocytes dans une moelle par ailleurs normale.
Référence pour le diagnostic
1. Al-Samkari H, Rosovsky RP, Karp Leaf RS, Smith DB, Goodarzi K, Fogerty AE, Sykes DB, Kuter DJ: A modern reassessment of glycoprotein-specific direct platelet autoantibody testing in immune thrombocytopenia. Blood Adv 4(1):9–18, 2020. doi: 10.1182/bloodadvances.2019000868
Traitement de la thrombopénie immunitaire
Corticostéroïdes oraux
Immunoglobulines IV (IgIV)
IgIV anti-D
Parfois, splénectomie
Agonistes des récepteurs de la thrombopoïétine (TPO-RA)
Rituximab
Fostamatinib
Autres immunosuppresseurs (p. ex., mycophénolate, azathioprine, cyclosporine)
En cas de saignements sévères, IgIV, IgIV anti-D, corticostéroïdes IV et/ou transfusions de plaquettes
Plusieurs lignes directrices sont disponibles (1, 2). Les patients asymptomatiques qui ont une numération plaquettaire > 30 000/mcL (> 30 × 109/L) et aucun saignement ne nécessitent habituellement pas de traitement et peuvent être simplement surveillés.
Chez les adultes qui ont une thrombopénie immunitaire récemment diagnostiquée, on administre initialement à l'adulte qui saigne et a une numération plaquettaire < 30 000/mcL (< 30 × 109/L), une corticothérapie orale (p. ex., prednisone 1 mg/kg par voie orale 1 fois/jour) pendant 4 jours. Une autre possibilité, probablement aussi efficace, est un protocole corticostéroïde dexaméthasone 40 mg par voie orale 1 fois/jour pendant 4 jours. Chez la plupart des patients, la numération plaquettaire augmente dans les 2 à 5 jours. Cependant, chez certains patients, la réponse peut prendre 2 à 4 semaines. Lorsque la corticothérapie est diminuée après la réponse, la plupart des patients adultes rechutent. Les traitements corticostéroïdiens répétés peuvent être efficaces, mais ils augmentent le risque d'effets indésirables. Les corticostéroïdes ne doivent généralement pas être poursuivis au-delà des 6 premières semaines; d'autres médicaments peuvent être essayés pour éviter la splénectomie. Si le traitement médical est efficace, la plupart des lignes directrices recommandent de le poursuivre pendant au moins un an avant d'envisager une splénectomie.
Des corticostéroïdes oraux, des immunoglobulines anti-D IV ou des IgIV peuvent également être administrés lorsqu'une augmentation transitoire du nombre de plaquettes est nécessaire pour des extractions dentaires, un accouchement, une chirurgie ou d'autres procédures invasives. Les agonistes des récepteurs de la thrombopoïétine (TPO-RA, p. ex., romiplostim, eltrombopag, avatrombopag) peuvent également être utilisés (comme traitement de seconde intention) avant les procédures invasives, mais ne doivent pas être utilisés pour l'accouchement. Les IgIV et les IgIV anti-D sont également utiles en cas de saignement menaçant le pronostic vital dans la thrombopénie immunitaire mais sont rarement utilisés dans le traitement chronique parce que leur réponse peut ne durer que quelques jours à quelques semaines.
La splénectomie peut obtenir une rémission complète chez environ 2/3 des patients qui rechutent après la corticothérapie initiale. La splénectomie est habituellement réservée aux patients présentant une thrombopénie sévère (p. ex., < 15 000/mcL [< 15 × 109/L]) chez lesquels le risque hémorragique ne peut être contrôlé par un traitement médical ou ceux dont la maladie persiste après 12 mois. Si la thrombopénie peut être contrôlée par des traitements médicaux de deuxième intention, la splénectomie n'est souvent pas nécessaire (1, 2). La splénectomie induit un risque accru de thrombose et d'infection (en particulier par des bactéries encapsulées telles que le pneumocoque); les patients doivent être vaccinés contre Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae et Neisseria meningitidis (idéalement > 2 semaines avant la procédure).
Thérapies médicales de deuxième ligne
Thérapies médicales de deuxième ligne sont disponibles en cas de thrombopénie immunitaire
Qui cherchent à différer la splénectomie dans l'espoir d'une rémission spontanée
Qui ne sont pas candidats ou qui refusent la splénectomie
Chez qui la splénectomie n'a pas été efficace
Ces patients ont généralement des numérations plaquettaires < 10 000 à 20 000/mcL (< 10 à 20 × 109/L), (et sont donc à risque de saignement). Les traitements médicaux de deuxième ligne comprennent les agonistes du récepteur de la thrombopoïétine (TPO-RAs), le rituximab, le fostamatinib ou d'autres agents immunosuppresseurs.
Les agonistes des récepteurs de la thrombopoïétine, tels le romiplostim 1 à 10 mcg/kg en sous-cutané 1 fois/semaine et l'eltrombopag 25 à 75 mg par voie orale 1 fois/jour et l'avatrombopag 20 à 40 mg par voie orale 1 fois/jour, ont des taux de réponse > 85%. Les agonistes des récepteurs de la thrombopoïétine (PO-RAs) doivent souvent être administrés en continu pour maintenir la numération plaquettaire > 50 000/mcL (> 50 × 109/L), mais des données suggèrent qu'un tiers des adultes seront en rémission sans traitement après 1 an et > 50% après 2 ans.
Le rituximab (375 mg/m2 IV 1 fois/semaine pendant 4 semaines) a un taux de réponse de 57%, mais seulement 21% des patients adultes restent en rémission à 5 ans (3). D'autres modes d'administration sont également efficaces (p. ex., des doses de 1000 mg IV à 2 semaines d'intervalle). Le rituximab peut affecter la capacité à répondre à la vaccination pendant 6 à 12 mois.
Le fostamatinib, un inhibiteur de la tyrosine kinase, a un taux de réponse de 18%. La dose est de 100 mg par voie orale 2 fois/jour, augmentant à 150 mg 2 fois/jour après 1 mois si la numération plaquettaire n'a pas augmenté à > 50 000/mcL (> 50 × 109/L) (4).
Un traitement immunosuppresseur plus intensif peut être nécessaire avec des médicaments, tels que le cyclophosphamide, la cyclosporine et le mycophénolate, ou l'azathioprine chez les patients qui ne répondent pas à d'autres médicaments et qui ont une thrombopénie sévère et symptomatique.
Saignement menaçant le pronostic vital dans la thrombopénie immunitaire
Chez un enfant ou un adulte qui a une thrombopénie immunitaire et une hémorragie potentiellement mortelle, il faut tenter un blocage phagocytaire rapide en administrant des IgIV 1 g/kg 1 fois/jour pendant 1 à 2 jours ou chez les patients Rh positifs, une dose unique d'immunoglobulines anti-D de 75 mcg/kg. Les immunoglobulines IV anti-D ne sont efficaces qu'en l'absence de splénectomie et elles peuvent être associées à des complications sévères telles qu'une hémolyse sévère ou une coagulation intravasculaire disséminée. Ce traitement par IVIg entraîne habituellement une augmentation du taux de plaquettes dans les 2 à 4 jours, mais durant seulement 2 à 4 semaines.
La méthylprednisolone à forte dose (1 g IV 1 fois/jour pendant 3 jours) est plus facile à administrer que les IgIV ou les IgIV anti-D, mais peut ne pas être aussi efficace.
Un patient présentant une thrombopénie immunitaire avec des hémorragies engageant le pronostic vital doit également recevoir des concentrés plaquettaires. Les transfusions de plaquettes ne sont pas utilisées de façon prophylactique.
La vincristine (1,4 mg/m2, dose maximale de 2 mg) a également été utilisée dans des situations d'urgence mais peut entraîner une neuropathie en cas d'administration répétée.
L'utilisation précoce des agonistes des récepteurs de la thrombopoïétine (TPO-RA) peut également être efficace en association avec les thérapies ci-dessus (5, 6).
Traitement des enfants présentant une thrombopénie immunitaire
Chez l'enfant qui a une thrombopénie immunitaire, le traitement est habituellement de support, car la plupart guérissent spontanément (7). Même après une thrombopénie persistant plusieurs mois ou années, la plupart des enfants ont des rémissions spontanées. Si une hémorragie muqueuse se produit, les corticostéroïdes ou les IgIV peuvent être administrées. L'utilisation des corticostéroïdes et des IgIV est controversée car l'augmentation du taux de plaquettes n'améliore pas toujours l'état clinique. Cependant, si une thrombopénie sévère et symptomatique persiste > 6 mois, les agonistes des récepteurs de la thrombopoïétine (TPO-RA) (p. ex., romiplostim, eltrombopag) doivent être envisagés. La splénectomie est rarement réalisée chez l'enfant.
Références pour le traitement
1. Neunert C, Terrell DR, Arnold DM, et al: American Society of Hematology 2019 guidelines for immune thrombocytopenia. Blood Adv 3(23):3829–3866, 2019. doi: 10.1182/bloodadvances.2019000966
2. Provan D, Arnold DM, Bussel JB, et al: Updated international consensus report on the investigation and management of primary immune thrombocytopenia. Blood Adv 3(22):3780–3817, 2019. doi: 10.1182/bloodadvances.2019000812
3. Patel VL, Mahevas M, Lee SY, et al: Outcomes 5 years after response to rituximab therapy in children and adults with immune thrombocytopenia. Blood 119:5989–5995, 2012. doi: 10.1182/blood-2011-11-393975
4. Bussel J, Arnold DM, Grossbard E, et al: Fostamatinib for the treatment of adult persistent and chronic immune thrombocytopenia: Results of two phase 3, randomized, placebo‐controlled trials. Am J Hematol 93: 921–930, 2018. doi: 10.1002/ajh.25125
5. Kuter DJ, Tarantino MD, Lawrence T: Clinical overview and practical considerations for optimizing romiplostim therapy in patients with immune thrombocytopenia. Blood Rev 49:100811, 2021. doi: 10.1016/j.blre.2021.100811
6. Lozano ML, Godeau B, Grainger J, et al: Romiplostim in adults with newly diagnosed or persistent immune thrombocytopenia. Expert Rev Hematol 13(12):1319–1332, 2020. doi: 10.1080/17474086.2020.1850253
7. Neunert CE, Buchanan GR, Imbach P, et al: Bleeding manifestations and management of children with persistent and chronic immune thrombocytopenia: data from the Intercontinental Cooperative ITP Study Group (ICIS). Blood 121(22):4457–4462, 2013. doi:10.1182/blood-2012-12-466375
Pronostic de la thrombopénie immunitaire
Chez l'enfant, le traitement est généralement symptomatique, car la plupart des enfants guérissent spontanément d'une thrombopénie sévère en plusieurs jours ou semaines.
Chez les adultes, une rémission spontanée est observée dans moins de 10% des cas. À la fin du traitement initial, environ 1/3 des patients sont en rémission. Jusqu'à 75% des patients s'améliorent dans les 5 ans (1). Cependant, de nombreux patients ont une maladie modérée et stable (c'est-à-dire, une numération plaquettaire > 30 000/mcL [> 30 × 109/L]) et un saignement minime ou nul et est souvent mise en évidence par la numération plaquettaire automatisée qui est actuellement effectuée avec la NFS.
Référence pour le pronostic
1. Sailer T, Lechner K, Panzer S, et al: The course of severe autoimmune thrombocytopenia in patients not undergoing splenectomy. Haematologica 91:1041–1045, 2006.
Points clés
Dans la thrombopénie immunitaire, le système immunitaire détruit les plaquettes dans la circulation et en même temps attaque les mégacaryocytes de la moelle osseuse, ce qui réduit la production de plaquettes.
Les autres causes de thrombopénie isolée (p. ex., médicaments, alcool, troubles lymphoprolifératifs, autres maladies auto-immunes, infections virales) doivent être exclues.
Les enfants bénéficient généralement d'une rémission spontanée; chez l'adulte, une rémission spontanée peut se produire au cours de la première année, mais elle moins rare (environ 33%) que chez les enfants.
Les corticostéroïdes (et parfois les IgIV [immunoglobulines IV] ou les Ig anti-D IV) sont les traitements de première ligne des saignements ou des thrombopénies sévères.
La biopsie de moelle osseuse n'est généralement pas nécessaire, sauf en cas d'autres anomalies des globules rouges ou blancs ou chez les patients chez qui on envisage une splénectomie qui n'ont pas répondu au traitement standard par des corticostéroïdes ou les IgIV.
Les agonistes des récepteurs de la thrombopoïétine sont très efficaces pour maintenir une numération plaquettaire sûre chez > 85% des adultes.
L'infection par COVID-19 provoque rarement une thrombopénie immunitaire, mais la vaccination par COVID-19 peut aggraver la thrombopénie chez 2 à 12% des patients qui ont une thrombopénie immunitaire.
La splénectomie est souvent efficace, mais elle est réservée aux patients chez lesquels le traitement médical est inefficace ou chez ceux dont la maladie persiste après 12 mois.
La transfusion plaquettaire n'est effectuée qu'en cas d'hémorragie engageant le pronostic vital.