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Principes généraux sur les intoxications

ParGerald F. O’Malley, DO, Grand Strand Regional Medical Center;
Rika O’Malley, MD, Grand Strand Medical Center
Reviewed ByDiane M. Birnbaumer, MD, David Geffen School of Medicine at UCLA
Vérifié/Révisé Modifié avr. 2025
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L'intoxication correspond à la survenue de manifestations de toxicité après exposition à une substance donnée. Les symptômes sont variés, mais certains syndromes fréquents suggèrent l'exposition à des classes particulières de toxiques. L'intoxication est généralement un diagnostic clinique, mais des analyses de laboratoire sont disponibles et utiles sur le plan clinique pour certains poisons. Le traitement de la plupart des cas d'intoxication est un traitement de support; des antidotes spécifiques sont administrés pour certaines substances. La prévention passe par l'étiquetage clair des contenants de médicaments et par le fait de garder les poisons hors de la portée des enfants.

Ressources du sujet

L'intoxication se fait le plus souvent par ingestion, mais peut résulter d'une injection, d'une inhalation ou de l'exposition de certaines surfaces du corps (p. ex., peau, œil, muqueuses). La toxicité de l'intoxication par la plupart des substances est liée à la dose. La dose est déterminée par la concentration dans le temps. L'intoxication peut résulter de l'exposition à une quantité excessive de substances normalement non toxiques ou à des substances qui sont toxiques à toutes les doses. L'intoxication se distingue de l'hypersensibilité (réaction à médiation immunitaire) et des réactions idiosyncrasiques (réaction inattendue chez un individu), qui sont imprévisibles et non liées à la dose, et de l'intolérance (réaction non à médiation immunitaire à une dose d'une substance habituellement non toxique), qui est prévisible et dépendante de la dose. Les réactions d'intolérance sont généralement moins graves que les réactions d'hypersensibilité ou idiosyncrasiques.

Les personnes sont souvent inquiètes et consultent un médecin lorsqu'elles sont exposées à une substance non alimentaire par ingestion ou par d'autres voies (p. ex., inhalation de vapeurs chimiques). De nombreux produits couramment utilisés sont non toxiques, mais certaines expositions peuvent entraîner une toxicité grave, voire potentiellement mortelle, selon la substance, la voie d'exposition, la dose et les caractéristiques du patient. On doit conseiller aux patients d'appeler leur centre antipoison local pour obtenir des conseils sur une intoxication potentielle et/ou de consulter les services d'urgence. Aux États-Unis, des informations sur les poisons sont disponibles auprès des America's Poison Centers (1-800-222-1222) et sur PoisonHelp.org.

L'intoxication accidentelle est fréquente chez les jeunes enfants, qui sont curieux et ingèrent n'importe quoi même si le goût et l'odeur sont désagréables; habituellement, seule une substance unique est impliquée, mais l'ingestion de plusieurs substances doit être envisagée. L'intoxication accidentelle peut survenir chez les personnes âgées en raison d'une confusion, de troubles visuels, de problèmes de santé mentale ou de polypharmacie (utilisation simultanée de plusieurs médicaments, souvent prescrits par plusieurs cliniciens) (voir aussi Problèmes liés aux médicaments chez les personnes âgées).

L'intoxication intentionnelle suicidaire est fréquente chez l'enfant plus âgé, l'adolescent et l'adulte; plusieurs drogues illicites et médicaments, y compris l'alcool, les benzodiazépines, et le paracétamol et d'autres médicaments en vente libre, peuvent être impliqués.

Parfois, des personnes sont empoisonnées par quelqu'un qui a l'intention de leur nuire (p. ex., lors d'un vol ou d'une agression sexuelle). Les substances utilisées pour porter atteinte aux personnes (p. ex., scopolamine, benzodiazépines, gamma-hydroxybutyrate) tendent à avoir des propriétés sédatives et/ou amnésiantes. Dans de rares cas, des parents empoisonnent leurs enfants pour des raisons psychiatriques obscures ou un désir de provoquer une maladie afin d'attirer l'attention médicale (un trouble appelé trouble factice imposé à autrui [anciennement appelé syndrome de Münchausen par procuration]).

Après exposition, les poisons peuvent passer par le tractus gastro-intestinal (GI) ou être absorbés directement dans les tissus ou la circulation. Ils peuvent être métabolisés ou excrétés. Parfois, des comprimés (p. ex., aspirine, fer, médicaments gastrorésistants) forment dans le tube digestif des agrégats volumineux (bézoards), où ils ont alors tendance à stagner, d'où une prolongation de la résorption et de l'intoxication.

Symptomatologie des intoxications

La symptomatologie de l'intoxication varie en fonction de la substance (voir tableau Symptomatologie et traitement de toxiques spécifiques). De plus, différents patients intoxiqués avec la même substance peuvent présenter des symptômes très différents (1). Cependant, 6 agglomérats de symptômes (syndromes toxiques ou toxidromes) surviennent fréquemment et peuvent suggérer une toxicité causée par des classes particulières de substances (voir tableau Syndromes toxiques fréquents). Les patients qui ingèrent plusieurs substances peuvent présenter des symptômes caractéristiques d'une seule substance, mais présentent souvent une combinaison de symptômes difficiles à attribuer à une seule substance.

Tableau
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Les symptômes débutent en général immédiatement après l'exposition, mais sont retardés avec certains toxiques. Ce retard peut survenir parce que seul un métabolite est toxique, et non la substance mère (p. ex., méthanol, éthylène glycol, substances hépatotoxiques). L'ingestion d'hépatotoxines (p. ex., paracétamol, fer, champignons Amanita phalloides) peut entraîner une insuffisance hépatique aiguë qui se manifeste un à plusieurs jours après l'intoxication. Dans le cas des métaux ou des hydrocarbures solvants, les symptômes apparaissent en général uniquement en cas d'exposition chronique au toxique.

Les toxines ingérées et absorbées entraînent souvent des symptômes généraux. Les produits caustiques et les liquides corrosifs entraînent des lésions principalement des muqueuses digestives, responsables de stomatites, de gastro-entérites voire de perforations. Certaines toxines (p. ex., alcool, hydrocarbures) donnent à l'haleine une odeur caractéristique. Le contact de la peau avec des toxines peut entraîner différentes atteintes cutanées aiguës (p. ex., éruptions, douleurs, phlyctènes); l'exposition chronique peut provoquer une dermatite.

L'inhalation de toxines peut entraîner des symptômes évocateurs de lésions des voies respiratoires supérieures si les substances sont hydrosolubles (p. ex., chlore, ammoniac) et des symptômes de lésions des voies respiratoires inférieures et un œdème du poumon non cardiogénique si elles sont moins hydrosolubles (p. ex., phosgène). L'inhalation de monoxyde de carbone, de cyanure ou de gaz de sulfure d'hydrogène peut causer une ischémie ou un arrêt cardiaque ou respiratoire. Le contact de toxines (solides, liquides ou sous la forme de vapeurs) avec l'œil peut entraîner des lésions de la cornée, des sclères et du cristallin, avec douleurs et rougeurs oculaires et perte d'acuité visuelle.

Certaines substances (p. ex., cocaïne, phencyclidine, amphétamines) peuvent entraîner une agitation sévère, avec pour conséquence hyperthermie, acidose et rhabdomyolyse.

Référence pour la symptomatologie

  1. 1. Holstege CP, Borek HA. Toxidromes. Crit Care Clin. 2012;28(4):479-498. doi:10.1016/j.ccc.2012.07.008

Diagnostic des intoxications

  • Principalement l'anamnèse et l'examen clinique, y compris l'historique provenant de toutes les sources disponibles (patient et autres personnes ayant pu observer l'exposition du patient à une toxine)

  • Parfois, analyses de laboratoire ciblées pour des substances spécifiques

La première étape du diagnostic d'intoxication consiste à évaluer l'état général du patient. Les intoxications sévères peuvent nécessiter une intervention rapide pour ne pas compromettre les voies respiratoires ou pour traiter une défaillance cardiopulmonaire.

Lors de la présentation clinique, il peut être connu qu'un empoisonnement s'est produit. Elle doit être suspectée si le patient présente des symptômes inexpliqués, en particulier des troubles de la conscience (qui peut aller de l'agitation à la somnolence et au coma). En cas d'intoxication volontaire chez l'adulte, il faut suspecter la responsabilité de plusieurs substances.

L'anamnèse est souvent l'outil diagnostique le plus précieux. Le dossier pharmaceutique et médical peut apporter des informations utiles. Il est important de recueillir autant d'informations que possible sur l'exposition afin d'essayer d'identifier la substance (ou parfois plusieurs substances), la voie d'exposition (p. ex., ingestion, inhalation), la quantité et le moment de l'exposition. Comme nombre de patients (p. ex., enfants qui ne parlent pas encore, adultes ayant des idées suicidaires ou connaissant une psychose, patients présentant une altération de la conscience) ne peuvent pas fournir des informations fiables, il faut interroger leurs amis, leur famille et les secours. Même le patient apparemment fiable peut se tromper sur la quantité ou le moment de l'ingestion. Parfois, les personnes qui étaient présentes sur le lieu où l'exposition s'est produite peuvent fournir des informations sur les indices qui aident à orienter les soins du patient (p. ex., boîtes de médicaments en partie vides, lettre de suicide, signes de toxicomanie récréative). En cas d'intoxication ayant pu survenir sur le lieu de travail, il faut interroger les collègues et les responsables hiérarchiques du patient. Tous les produits chimiques industriels doivent avoir une fiche technique de sécurité des substances (FTSS) facilement accessible sur le lieu de travail; la FTSS fournit des informations précises sur la toxicité de la substance et tout traitement spécifique.

Dans de nombreuses parties du monde, il est possible d'obtenir des informations sur les substances chimiques, domestiques et industrielles en s'adressant aux centres antipoison. Il faut prendre contact avec le centre antipoison, car la composition, les mesures de première urgence et les antidotes tels qu'ils apparaissent sur les emballages des produits sont parfois imprécis voire dépassés. De plus, la boîte peut avoir été remplacée par une autre ou l'emballage avoir été modifié. Les centres antipoison peuvent aider à identifier des comprimés inconnus en se basant sur leur apparence. Ces centres ont un accès direct à des toxicologues. Le numéro de téléphone du centre antipoison le plus proche figure souvent avec d'autres numéros d'urgence sur la première page du bottin téléphonique local; le numéro de téléphone est également disponible auprès de l'opérateur téléphonique ou, aux États-Unis, en composant le 1-800-222-1222. De plus amples informations sont disponibles sur America's Poison Centers.

L'examen clinique détecte parfois des signes suggérant des substances particulières (p. ex., toxidromes [voir tableau Syndromes toxiques fréquents], odeur de l'haleine, présence de médicaments ou de drogues topiques, signes évocateurs d'injections suggérant une toxicomanie IV, signes évocateurs d'un alcoolisme chronique).

Même si l'on sait qu'un patient est intoxiqué, les troubles de la conscience dus à d'autres causes (p. ex., infection du système nerveux central, traumatisme crânien, hypoglycémie, accident vasculaire cérébral, encéphalopathie hépatique, encéphalopathie de Gayet-Wernicke) doivent également être envisagés. Il faut toujours envisager la possibilité d'une tentative de suicide chez l'enfant plus âgé, l'adolescent et l'adulte qui a ingéré une drogue ou médicament (voir Comportement suicidaire et Comportement suicidaire chez l'enfant et l'adolescent). En outre, les enfants et les adolescents partagent souvent les pilules et les substances trouvées; une enquête minutieuse pour identifier d'autres patients potentiellement empoisonnés parmi les compagnons de jeu et les frères et sœurs doit être entreprise.

Examens complémentaires

Dans la plupart des cas, les tests de laboratoire pour des substances spécifiques sont limités. Des analyses standard, facilement disponibles, d'urine ou de sang permettant d'identifier les drogues courantes (souvent appelées, "recherches de toxiques") sont qualitatives et non quantitatives. Ces tests peuvent fournir des résultats faux positifs ou faux négatifs, et ils ne dépistent qu'un nombre limité de substances. Le dépistage de drogues dans les urines est plus souvent utilisé mais a une valeur limitée et détecte habituellement les classes de drogues ou médicaments ou métabolites plutôt que des substances spécifiques. Par exemple, un dosage immuno-enzymatique de dépistage urinaire des opioïdes ne détecte pas le fentanyl ou la méthadone mais réagit avec de très petites quantités d'analogues de la morphine ou de la codéine. Le test utilisé pour identifier la cocaïne détecte un métabolite de la cocaïne plutôt que la cocaïne elle-même. De plus, la présence d'une substance ne signifie pas qu'elle soit responsable de la symptomatologie présentée par le patient (c'est-à-dire qu'un patient qui a récemment pris un opioïde peut en fait être obnubilé par une encéphalite plutôt que par le médicament).

Pièges à éviter

  • Un test de dépistage urinaire positif pour une drogue spécifique ne signifie pas nécessairement que cette drogue soit responsable des symptômes ou signes du patient (c'est-à-dire qu'un patient qui a récemment pris un opioïde peut en fait être obnubilé du fait d'une encéphalite plutôt que par le médicament/drogue).

Pour la plupart des substances, il est difficile de déterminer les concentrations sanguines et ces dernières n'ont pas toujours d'incidence sur les choix thérapeutiques. Pour quelques substances (p. ex., paracétamol, aspirine, monoxyde de carbone, digoxine, éthylène glycol, fer, lithium, méthanol, phénobarbital, phénylhydantoïne, théophylline), les concentrations sanguines permettent une meilleure prise en charge. Nombre d'experts recommandent de mesurer les taux sanguins de paracétamol chez tous les patients présentant une ingestion mixte, car l'ingestion de paracétamol est fréquente et souvent initialement asymptomatique, puis susceptible d'entraîner des manifestations retardées sévères qui auraient pu être prévenues par un antidote. Pour certaines substances, d'autres examens sanguins (p. ex., temps de prothrombine [temps de Quick (TQ)] pour le surdosage en warfarine, taux de méthémoglobine pour certaines substances) permettent de guider le traitement.

Si les concentrations sanguines d'une substance ou les symptômes d'intoxication se majorent après avoir d'abord diminué ou persistent sur une durée inhabituellement longue, il faut suspecter un bézoard, une préparation à libération prolongée ou une réexposition (c'est-à-dire, exposition répétée et cachée à une drogue illicite).

Pour les patients qui présentent une altération de la conscience ou des signes vitaux anormaux ou qui ont ingéré certaines substances, les analyses de laboratoire peuvent inclure les électrolytes sériques, l'azote uréique sanguin, la créatinine, le glucose, des études de coagulation et des gaz sanguins veineux. D'autres examens (p. ex., l'osmolalité sérique, le taux de méthémoglobine, le taux de monoxyde de carbone, la TDM cérébrale) peuvent être indiqués si certains poisons sont suspectés ou dans certaines situations cliniques.

Pour certaines intoxications (p. ex., par le fer, le plomb, l'arsenic, d'autres métaux, ou dues à des sachets de cocaïne ou d'autres drogues illicites ingérées ou insérées dans les cavités corporelles dans le but de faire passer clandestinement des drogues ou de les cacher aux forces de l'ordre [une pratique appelée body packing]), des études radiographiques telles que des radiographies simples ou un scanner peuvent révéler la présence et la topographie des substances ingérées.

Pour les intoxications médicamenteuses ou par des drogues présentant des effets cardiovasculaires ou si la substance est inconnue, un électrocardiogramme (ECG) et une surveillance cardiaque sont indiqués.

Traitement des empoisonnements

  • Soins de support

  • Prévenir l'absorption (p. ex., charbon activé pour intoxications orales)

  • Favoriser l'excrétion (p. ex., dialyse)

  • Atténuer la toxicité (p. ex., gérer les effets cardiovasculaires)

  • Parfois, des antidotes spécifiques

Les patients gravement intoxiqués peuvent nécessiter une ventilation assistée ou la prise en charge d'une défaillance cardiovasculaire. Les patients qui présentent des troubles de conscience peuvent nécessiter un suivi ou une contention permanents. La discussion sur le traitement des intoxications spécifiques, ci-dessous et dans les tableaux Antidotes spécifiques fréquents, Lignes directrices du traitement chélateur et Symptomatologie et traitement de toxiques spécifiques, est général et ne comprend pas les complexités et les détails spécifiques. La consultation d'un centre antipoison est recommandée pour toute intoxication, sauf si elle ne présente pas de caractère de gravité et/ou s'il s'agit d'intoxication parmi les plus banales.

Stabilisation initiale

  • Maintenir la perméabilité des voies respiratoires, la respiration et la circulation

  • Naloxone IV

  • Dextrose et thiamine IV

  • Liquides IV, parfois vasopresseurs

Les voies respiratoires, la respiration et la circulation doivent être surveillées chez le patient chez qui on suspecte un empoisonnement systémique. Les patients qui n'ont pas de pouls ou de pression artérielle exigent en urgence une réanimation cardiopulmonaire.

Si les patients présentent une apnée ou des voies respiratoires obstruées (p. ex., corps étranger dans l'oropharynx, diminution du réflexe nauséeux), ils doivent recevoir une ventilation assistée et une dose de naloxone IV. Si le patient ne répond pas rapidement à la naloxone, il faut insérer une sonde endotrachéale (voir Intubation trachéale). Si le patient présente une dépression respiratoire ou une hypoxie, une oxygénothérapie ou une ventilation mécanique peuvent s'avérer nécessaires.

La naloxone IV (adultes, adolescents et enfants ≥ 5 ans ou > 20 kg: 0,4 à 2 mg toutes les 2 à 3 minutes selon les besoins, jusqu'à une dose totale maximale de 10 mg; nourrissons et enfants < 5 ans ou ≤ 20 kg: 0,1 mg/kg chez les enfants, pouvant être répétée toutes les 2 à 3 minutes jusqu'à l'obtention de la réponse désirée) doit être administrée immédiatement, tout en assurant le maintien des voies respiratoires, chez les patients présentant une apnée ou une dépression respiratoire sévère. Chez les toxicomanes aux opioïdes, la naloxone peut entraîner un syndrome de sevrage, lequel est cependant préférable à une dépression respiratoire aiguë. Si la dépression respiratoire persiste malgré l'administration de naloxone, une intubation endotrachéale et une ventilation mécanique continue sont nécessaires. Si la naloxone soulage la dépression respiratoire, les patients sont suivis; si la dépression respiratoire réapparaît, le patient doit être traité par un autre bolus de naloxone IV ou intubation endotrachéale et par ventilation mécanique. Le recours à une perfusion continue à faible dose de naloxone pour maintenir la ventilation sans précipiter un syndrome de sevrage a été suggéré mais est très difficile à réaliser en pratique.

Du dextrose IV (50 mL d'une solution à 50% chez les adultes, 5 à 10 mL/kg d'une solution à 10% chez les nourrissons et les enfants, 2 à 4 mL/kg d'une solution à 25% pour les enfants plus âgés) doit être administré en cas d'altération de la conscience ou de dépression du système nerveux central, à moins que l'hypoglycémie n'ait été écartée par la mesure immédiate au lit du malade de la glycémie.

La thiamine (100 mg IV) est administrée avec ou avant le glucose chez l'adulte présentant une suspicion de déficit en thiamine (p. ex., les patients souffrant de troubles liés à la consommation d'alcool, les patients dénutris).

Des liquides IV sont administrés pour l'hypotension. Si l'apport liquidien est inefficace, un suivi hémodynamique invasif peut être nécessaire pour orienter le remplissage vasculaire et le traitement par agents vasopresseurs. Le traitement vasopresseur à privilégier dans la plupart des hypotensions causées par une intoxication est la noradrénaline 0,5 à 1 mg/min en perfusion IV, mais le traitement ne doit pas être différé si un autre vasopresseur est disponible plus rapidement.

Décontamination locale

Toute surface corporelle (dont les yeux) exposée à un produit toxique doit être lavée avec de grandes quantités d'eau ou de sérum physiologique. Les vêtements contaminés, y compris les chaussures, les chaussettes et les bijoux, doivent être enlevés. Les patchs topiques et les systèmes d'administration transdermique sont enlevés.

Charbon activé

Le charbon activé par voie orale peut être administré, en particulier lorsque les patients se présentent dans les 1 à 2 heures suivant l'ingestion susceptible de provoquer une toxicité. L'utilisation du charbon présente peu de risques (sauf chez les patients à risque de vomissements et d'inhalation) mais n'a pas démontré réduire la morbidité ou la mortalité globale. Le charbon, s'il est utilisé, doit être administré le plus tôt possible. Le charbon activé adsorbe la plupart des toxines du fait de sa structure moléculaire et de sa surface étendue. Des doses répétées de charbon activé peuvent être efficaces pour les substances qui font l'objet d'un cycle entérohépatique (p. ex., le phénobarbital, la théophylline) et pour les préparations à libération prolongée. En cas d'intoxication sévère par ce type de substances, le charbon peut être administré à des intervalles de 4 à 6 heures, sauf en cas de ralentissement du transit intestinal. Le charbon est inefficace pour les produits caustiques, les alcools et les ions simples (p. ex., le cyanure, le fer, les autres métaux, le lithium).

La dose recommandée est de 5 à 10 fois le volume de la toxine suspectée qui a été ingérée. Cependant, la quantité de toxine ingérée étant habituellement inconnue, la dose usuelle est de 0,5 à 2 g/kg, soit environ 10 à 25 g chez l'enfant de < 5 ans et de 50 à 100 g chez l'enfant plus grand et chez l'adulte. Le charbon est administré sous la forme de bouillie, dans de l'eau ou des boissons sans alcool. Il peut avoir un goût désagréable et entraîner des vomissements chez environ 30% des patients (1). L'administration via une sonde gastrique peut être envisagée, mais la prudence s'impose pour éviter les traumatismes provoqués par l'insertion de la sonde ou l'inhalation du charbon activé; les avantages potentiels l'emportent sur les risques. Le charbon activé doit probablement être utilisé sans sorbitol ou autres accélérateurs du transit digestif, leur intérêt n'étant pas évident et ceux-ci pouvant entraîner une déshydratation et des troubles hydro-électrolytiques (2).

Après administration, le charbon activé sera finalement éliminé dans les selles, et les patients doivent être informés qu'ils pourraient présenter une constipation et/ou des selles noires.

Vidange gastrique

La vidange gastrique, que ce soit par sirop d'ipéca ou lavage gastrique, n'a pas démontré son efficacité, et n'est désormais pratiquée que rarement, uniquement en cas d'ingestion précoce potentiellement létale et sans autre traitement efficace disponible (3). Elle ne réduit pas clairement la morbidité ou la mortalité globales et, dans certains cas (p. ex., ingestion de substances caustiques), est contre-indiquée (voir Ingestion de caustiques).

Irrigation intestinale

Cette procédure permet le lavage du tube digestif et diminuerait la durée du transit intestinal pour les comprimés et autres formes galéniques orales. Il n'a pas été démontré que l'irrigation réduisait la morbidité ou la mortalité. L'irrigation intestinale est indiquée dans l'un des cas suivants (4):

  • Certaines intoxications sévères par des préparations à libération prolongée ou des substances non adsorbées par le charbon (p. ex., métaux lourds)

  • Poches de drogue (p. ex., sachets de latex remplis d'héroïne ou de cocaïne ingérés ou insérés dans les cavités corporelles afin de faire passer clandestinement la drogue ou de la dissimuler aux forces de l'ordre [pratique appelée body packing])

  • Suspicion de bézoard

Une solution du commerce prête à l'emploi de polyéthylène glycol (qui n'est pas résorbable) et d'électrolytes peut être administrée, avec une dose variant selon l'âge et/ou le poids, jusqu'à ce que l'effluent rectal soit clair (4); ce processus peut nécessiter plusieurs heures, voire plusieurs jours. La solution est habituellement administrée par sonde gastrique, bien que certains patients motivés parviennent à boire les grands volumes nécessaires.

Alcalinisation des urines

L'alcalinisation des urines augmente l'élimination des acides faibles (p. ex., salicylates, phénobarbital). Une solution obtenue en associant 1 L de glucosé à 5% avec trois ampoules de 50 mEq (50 mmol/L) de bicarbonate de sodium et 20 à 40 mEq (20 à 40 mmol/L) de potassium peut être administrée à une vitesse de 250 mL/h chez l'adulte et de 2 à 3 mL/kg/h chez l'enfant. Le pH urinaire est maintenu ≥ 7,5 et le potassium doit être supplémenté. Une hypernatrémie, une alcalose et une surcharge hydrique peuvent survenir, ces anomalies étant en fait le plus souvent discrètes. L'alcalinisation urinaire est contre-indiquée chez les patients atteints d'insuffisance rénale (5).

Dialyse

Les toxiques qui justifient le plus le recours à la dialyse ou à une hémoperfusion sont les suivants:

  • Éthylène glycol

  • Lithium

  • Méthanol

  • Salicylates

  • Théophylline

Ces traitements sont moins efficaces si le toxique est une grosse molécule ou une molécule chargée (polaire), s'il présente un grand volume de distribution (c'est-à-dire, s'il est stocké dans le tissu adipeux) ou s'il est très lié aux protéines tissulaires (comme la digoxine, la phencyclidine, les phénothiazines, ou les antidépresseurs tricycliques). L'indication de la dialyse est habituellement posée en fonction des données biologiques, de l'état clinique et de la toxine impliquée. Les méthodes de dialyse incluent l'hémodialyse et l'hémoperfusion.

Antidotes spécifiques

Pour les antidotes les plus souvent utilisés, voir tableau Antidotes spécifiques fréquents. Les émulsions lipidiques IV à des concentrations de 10 et 20% et des doses d'insuline élevées ont été utilisées pour traiter avec succès plusieurs intoxications par différentes toxines cardiaques (p. ex., bupivacaïne, diltiazem, vérapamil) (6).

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Chélation

Les agents chélateurs sont utilisés pour les intoxications par les métaux lourds et parfois par d'autres médicaments ou drogues (voir tableau Symptomatologie et traitement de toxiques spécifiques).

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Mesures de support

La plupart des symptômes (p. ex., agitation, sédation, coma, œdème cérébral, HTA, troubles du rythme, insuffisance rénale, hypoglycémie) sont traités par mesures de support classiques.

L'hypotension artérielle et les troubles du rythme d'origine médicamenteuse peuvent ne pas répondre aux traitements médicamenteux habituels. La dopamine, l'adrénaline, d'autres vasopresseurs, une contrepulsion aortique, voire une assistance circulatoire extracorporelle peuvent être envisagés en cas d'hypotension réfractaire.

Une stimulation cardiaque peut être nécessaire en cas d'arythmies réfractaires. Les torsades de pointes peuvent souvent être traitées par du sulfate de magnésium 2 à 4 g IV, un entraînement électrosystolique (overdrive) ou une perfusion d'isoprotérénol.

Les convulsions sont traitées en première intention par des benzodiazépines. Le phénobarbital et le propofol ont été utilisés lorsque les benzodiazépines sont inefficaces. Une agitation sévère doit être contrôlée; des benzodiazépines à fortes doses, d'autres sédatifs puissants (p. ex., propofol) ou, dans les cas extrêmes, une curarisation avec ventilation mécanique, peuvent être nécessaires.

L'hyperthermie est traitée par une sédation agressive et des techniques physiques de refroidissement plutôt que par antipyrétiques. En cas de défaillance organique, une transplantation rénale ou une transplantation hépatique peut finalement s'avérer nécessaire.

Hospitalisation

Les motifs les plus habituels d'hospitalisation sont des troubles de la vigilance, des perturbations persistantes des paramètres vitaux et l'anticipation d'une toxicité retardée. Par exemple, l'hospitalisation est envisagée si le patient a avalé des préparations à libération prolongée, en particulier des médicaments et drogues pouvant entraîner des effets indésirables sévères (p. ex., les médicaments cardiovasculaires). En l'absence d'autres motifs d'admission, si les examens biologiques indiqués sont normaux et s'il n'y a plus de symptomatologie après une surveillance de 4 à 6 heures, la plupart des patients peuvent quitter l'hôpital. Cependant, si l'ingestion était volontaire, un bilan psychiatrique est nécessaire.

Références pour le traitement

  1. 1. Mohamed F, Sooriyarachchi MR, Senarathna L, et al. Compliance for single and multiple dose regimens of superactivated charcoal: a prospective study of patients in a clinical trial. Clin Toxicol (Phila). 2007;45(2):132-135. doi:10.1080/15563650600981145

  2. 2. Position statement and practice guidelines on the use of multi-dose activated charcoal in the treatment of acute poisoning. American Academy of Clinical Toxicology; European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists. J Toxicol Clin Toxicol. 1999;37(6):731-751. doi:10.1081/clt-100102451

  3. 3. Benson BE, Hoppu K, Troutman WG, et al. Position paper update: gastric lavage for gastrointestinal decontamination. Clin Toxicol (Phila). 2013;51(3):140-146. doi:10.3109/15563650.2013.770154

  4. 4. Thanacoody R, Caravati EM, Troutman B, et al. Position paper update: whole bowel irrigation for gastrointestinal decontamination of overdose patients. Clin Toxicol (Phila). 2015;53(1):5-12. doi:10.3109/15563650.2014.989326

  5. 5. Proudfoot AT, Krenzelok EP, Vale JA. Position Paper on urine alkalinization. J Toxicol Clin Toxicol. 2004;42(1):1-26. doi:10.1081/clt-120028740

  6. 6. Gosselin S, Hoegberg LC, Hoffman RS, et al. Evidence-based recommendations on the use of intravenous lipid emulsion therapy in poisoning. Clin Toxicol (Phila). 2016;54(10):899-923. doi:10.1080/15563650.2016.1214275

Prévention de l'intoxication

Aux États-Unis, l'utilisation courante de conditionnements sécurisés chez l'enfant avec des couvercles adaptés a fortement réduit le nombre d'intoxications mortelles chez l'enfant de < 5 ans. Limiter la quantité d'unités d'antalgiques par boîte en vente libre et éliminer les formulations déroutantes et redondantes réduit la gravité des intoxications, en particulier celle par le paracétamol, l'aspirine ou l'ibuprofène.

D'autres mesures préventives comprennent les suivantes:

  • Étiquetage clair des produits ménagers et des médicaments sur ordonnance

  • Rangement des médicaments et des substances toxiques dans des armoires verrouillées et hors de portée des enfants

  • Se débarrasser rapidement des médicaments périmés en les mélangeant à de la litière de chat ou à d'autres substances vers lesquelles les enfants ne seront pas attirés et en jetant le tout dans une poubelle non accessible aux enfants

  • Utilisation de détecteurs de monoxyde de carbone

  • S'abstenir de prescrire des opioïdes et utiliser des traitements non opioïdes chaque fois que possible

Les mesures visant à encourager la population à garder les produits dans leur emballage d'origine (p. ex., ne pas mettre de l'insecticide dans des bouteilles de boisson) sont importantes. L'utilisation d'identifications imprimées sur les médicaments solides permet d'éviter la confusion et les erreurs de la part des patients, des pharmaciens et des soignants.

Points clés

  • L'intoxication doit être différenciée des réactions d'hypersensibilité et des réactions idiosyncrasiques, qui sont imprévisibles et non dose-dépendantes et de l'intolérance, qui est une réaction toxique à une dose habituellement non toxique d'une substance.

  • Reconnaître un toxidrome (p. ex., anticholinergique, cholinergique muscarinique, nicotinique cholinergique, opioïde, sympathomimétique, de sevrage) peut permettre d'affiner le diagnostic différentiel.

  • La toxicité peut être immédiate, différée (p. ex., paracétamol, fer, champignons Amanita phalloides provoquant une hépatotoxicité retardée), ou ne se produire qu'après une exposition répétée.

  • Maximiser la reconnaissance de l'empoisonnement et l'identification du poison spécifique évoquant l'intoxication chez tous les patients présentant des altérations inexpliquées de la conscience et par une recherche approfondie pour trouver des indices à partir de l'histoire.

  • Envisager d'autres causes (p. ex., une infection du système nerveux central, un traumatisme crânien, une hypoglycémie, un accident vasculaire cérébral, une encéphalopathie hépatique, une encéphalopathie de Wernicke) en cas de trouble de la conscience, même si on suspecte un empoisonnement.

  • Utiliser les tests toxicologiques (p. ex., tests immunologiques pour les médicaments) de façon prudente car ils peuvent fournir des informations incomplètes ou incorrectes.

  • Traiter tous les empoisonnements par des mesures de soutien et utiliser du charbon actif en cas d'empoisonnement grave par voie orale et sélectivement par d'autres méthodes.

Plus d'information

Les sources d'information suivantes en anglais peuvent être utiles. S'il vous plaît, notez que LE MANUEL n'est pas responsable du contenu de cette ressource.

  1. Chemical Companion (ERDSS). Disponible en application pour tablette et en logiciel téléchargeable.

  2. U.S. Department of Health and Human Services. Chemical Hazards Emergency Medical Management. Disponible sous forme de logiciel téléchargeable.

  3. U.S. Department of Transportation (DOT) Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration. Emergency Response Guidebook. Disponible en document téléchargeable et en application mobile.

  4. National Oceanic and Atmospheric Administration. CAMEO Chemicals. Disponible sous forme d'application mobile et de logiciel téléchargeable.

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