Les soins périopératoires sont basés sur des recommandations individuelles et générales et visent à prévenir les complications périopératoires et à optimiser les résultats. La planification et la préparation sont effectuées dans les semaines ou les jours précédant une procédure non urgente, si possible, avec des mesures appropriées pour chaque patient en fonction de la procédure prévue, de l'indication de la chirurgie, de l'anamnèse médicale, des médicaments et des préférences du patient.
Les lignes directrices ERAS (Enhanced Recovery After Surgery) ont été développés et validés dans le but de standardiser les soins périopératoires et d'améliorer les résultats chirurgicaux globaux pour diverses spécialités chirurgicales (voir ERAS Society).
Traitement pré-opératoire par des médicaments et prise en charge des comorbidités
Les patients présentant des troubles médicaux chroniques, en particulier des maladies cardiovasculaires, pulmonaires ou rénales peuvent nécessiter une prise en charge particulière pour les préparer à la chirurgie. En outre, de nombreux médicaments peuvent interagir avec des agents anesthésiques ou avoir des effets indésirables pendant ou après la chirurgie. Ainsi, avant l'intervention, les médicaments pris par le patient sont souvent passés en revue et une décision est prise quant à ceux qui doivent être administrés le jour de l'intervention.
Anticoagulants et antiagrégants plaquettaires
L'anticoagulation doit être interrompue chez les patients subissant une chirurgie élective avec un risque thrombo-embolique faible à modéré au moins 48 heures avant la chirurgie et reprise dans les 12 à 24 heures après la chirurgie. Chez les patients à haut risque de thromboembolie, tels que ceux porteurs de stents coronariens ou de valvules cardiaques mécaniques, le risque de décès par thrombose peut l'emporter sur le risque de saignement chirurgical. La décision d'interrompre le traitement anticoagulant doit être individualisée et impliquer une équipe multidisciplinaire. Dans le cas des patients porteurs d'un stent, les facteurs à prendre en compte comprennent le type de stent (nu ou à élution médicamenteuse), le temps écoulé depuis la pose, le type de chirurgie, et si une procédure élective (non urgente) peut être reportée jusqu'à ce que les périodes de risque accru soient passées (1).
Dans la plupart des cas, les antiplaquettaires (p. ex., aspirine) sont arrêtés 5 à 7 jours avant l'intervention. Dans le cas des anticoagulants oraux directs (DOAC), le moment de l'arrêt et de la reprise doit être basé sur la demi-vie du médicament et sur la fonction rénale; le traitement de transition (administrer un anticoagulant à courte durée d'action tel que l'héparine de bas poids moléculaire jusqu'à ce que l'effet anticoagulant de l'anticoagulant à action directe devienne thérapeutique) n'est généralement pas recommandé en raison de la demi-vie plus courte de ces agents et de l'absence d'agents d'inversion spécifiques (2).
Le dabigatran doit être arrêté avant les procédures programmées (électives) et peut être repris dans les 24 à 48 heures chez les patients à faible risque hémorragique, mais il doit être repris plus tard (généralement 3 à 5 jours après l'opération) dans le cas des procédures ou des patients à haut risque (3). Si nécessaire, le dabigatran peut être inversé par l'idarucizumab, un fragment d'anticorps monoclonal qui se lie au dabigatran et neutralise rapidement son effet anticoagulant (4). D'autres agents d'inversion, tels que le concentré de complexe de prothrombine (PCC) ou le PCC activé (aPCC), peuvent également être efficaces pour inverser l'effet anticoagulant du dabigatran, mais leur utilisation est moins bien établie.
Sauf pour certaines procédures mineures, la warfarine est arrêtée pendant 5 jours avant la chirurgie; l'INR au moment de la chirurgie doit être ≤ 1,5. Certains patients reçoivent un traitement de transition par un anticoagulant à courte durée d'action tel que l'héparine de bas poids moléculaire après l'arrêt de la warfarine (5). Le traitement de transition par l'héparine n'est pas recommandé chez les patients subissant une chirurgie qui présentent un risque thrombo-embolique faible à modéré. Un traitement de transition doit être envisagé chez les patients à haut risque de thromboembolie, tels que ceux qui ont des antécédents de thromboembolie veineuse ou ont des valves cardiaques mécaniques, et doit être basé sur le risque individuel du patient et le profil de saignement (6, 7).
Parce qu'il faut jusqu'à 5 jours pour la warfarine pour obtenir une anticoagulation thérapeutique, elle peut être commencée le jour de la chirurgie ou après la chirurgie à moins que le risque d'hémorragie post-opératoire soit élevé. Les patients doivent recevoir une anticoagulation intermédiaire jusqu'à ce que l'INR ait atteint l'objectif thérapeutique.
Chez les patients sous traitement anticoagulant, la décision de recourir à l'anesthésie régionale doit être prise au cas par cas, en tenant compte des risques de saignement et de thrombose. Les cathéters épiduraux ne doivent pas être retirés avant au moins 12 heures après la dernière dose d'un anticoagulant oraul à action directe (DOAC).
Corticostéroïdes
Certains patients peuvent nécessiter des corticostéroïdes supplémentaires pour prévenir des réponses inadéquates au stress périopératoire qui peuvent se produire s'ils ont pris > 5 mg de prednisone par jour (ou une dose équivalente d'un autre corticostéroïde) pendant > 3 semaines au cours de l'année écoulée. Une couverture par des corticostéroïdes par des doses de stress empiriques est également souvent administrée lorsque la dose et la durée du traitement par corticostéroïdes sont inconnues.
Autres médicaments pour les maladies chroniques
La plupart des médicaments pour le traitement des troubles chroniques, en particulier les médicaments cardiovasculaires (dont les antihypertenseurs) doivent être maintenus pendant la totalité de la période péri-opératoire. La plupart des médicaments par voie orale qui doivent être poursuivis peuvent être administrés en prémédication avec un peu d'eau le jour de l'intervention. Les autres médicaments peuvent devoir être administrés par voie parentérale ou repris en post-opératoire. Les taux sériques des anticonvulsivants doivent être vérifiés avant l'opération en cas de troubles convulsifs.
Diabète
Le jour de la chirurgie, les patients qui présentent un diabète insulino-dépendant reçoivent habituellement 1/3 de leur habituelle dose d'insuline le matin. Les patients qui prennent des antidiabétiques oraux reçoivent la moitié de leur dose habituelle. Si possible, la chirurgie est faite tôt dans la journée. L'anesthésiste surveille la glycémie pendant l'intervention et adapte les apports en dextrose et insuline. Une surveillance étroite par glycémies capillaires est maintenue durant toute la période péri-opératoire. Dans les suites post-opératoires immédiates, de l'insuline est administrée selon une échelle de graduation. Le protocole habituel d'insulinothérapie à domicile n'est pas redémarré avant que le patient ne reprenne un régime alimentaire normal. Les hypoglycémiants oraux sont habituellement redémarrés lorsque le patient sort de l'hôpital.
Maladies du cœur
En cas de maladie coronarienne ou d'insuffisance cardiaque connues, le cardiologue doit effectuer une évaluation pré-opératoire et une stratification du risque. Si les patients ne sont pas médicalement optimisés, ils doivent subir des examens complémentaires avant toute intervention chirurgicale non urgente.
Maladie pulmonaire
Les épreuves fonctionnelles respiratoires préopératoires peuvent permettre de quantifier le degré de la maladie obstructive, restrictive ou réactive des voies respiratoires. La fonction pulmonaire doit être optimisée en ajustant soigneusement l'utilisation et les doses d'inhalateurs, d'autres médicaments et les techniques de libération des voies respiratoires.
Prise de substances
On préconise aux fumeurs d'arrêter de fumer le plus tôt possible avant toute intervention thoracique ou abdominale. Plusieurs semaines d'arrêt du tabac sont nécessaires pour restaurer les mécanismes ciliaires. La spirométrie incitative doit être utilisée avant et après l'intervention.
En cas d'utilisation fréquente ou intensive de cannabinoïdes, les lignes directrices de l'American Society of Regional Anesthesia and Pain Medicine recommandent une consultation sur les risques potentiels (p. ex., augmentation des nausées et des vomissements post-opératoires, infarctus du myocarde) d'une utilisation continue pendant la période périopératoire, en reportant la chirurgie élective chez les patients présentant une altération de l'état mental ou une altération de la capacité de prise de décision due à une intoxication aiguë par le cannabis, et de retarder la chirurgie non urgente pendant au moins 2 heures après que le patient ait fumé ou ingéré du cannabis en raison du risque accru d'infarctus du myocarde (8).
Les patients dépendants (drogues illicites ou alcool) peuvent présenter un syndrome de sevrage pendant la période périopératoire. Les patients présentant un trouble de consommation d'alcool doivent recevoir des benzodiazépines prophylactiques (p. ex., chlordiazépoxide, diazépam, lorazépam) dès l'admission. Les toxicomanes aux opiacés peuvent recevoir des antalgiques opiacés; pour soulager la douleur, ils peuvent exiger des doses plus importantes que les patients qui ne sont pas dépendants. Rarement, les sujets présentant un trouble de la consommation d'opiacés ont besoin de méthadone pour éviter le syndrome de sevrage pendant la période périopératoire.
Références
1. Fleisher LA, Fleischmann KE, Auerbach AD, et al: 2014 ACC/AHA guideline on perioperative cardiovascular evaluation and management of patients undergoing noncardiac surgery: A report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on practice guidelines. J Am Coll Cardiol 64(22):e77-e137, 2014. doi:10.1016/j.jacc.2014.07.944
2. Douketis JD, Healey JS, Brueckmann M, et al: Perioperative bridging anticoagulation during dabigatran or warfarin interruption among patients who had an elective surgery or procedure. Substudy of the RE-LY trial. Thromb Haemost 113(3):625-632, 2015. doi:10.1160/TH14-04-0305
3. Schulman S, Carrier M, Lee AY, et al: Perioperative management of dabigatran: a prospective cohort study. Circulation 132(3):167-173, 2015. doi:10.1161/CIRCULATIONAHA.115.015688
4. Pollack CV Jr, Reilly PA, van Ryn J, et al: Idarucizumab for dabigatran reversal - full cohort analysis. N Engl J Med 377(5):431-441, 2017. doi:10.1056/NEJMoa1707278
5. Keeling D, Baglin T, Tait C, et al: Guidelines on oral anticoagulation with warfarin - fourth edition. Br J Haematol 154(3):311-324, 2011. doi:10.1111/j.1365-2141.2011.08753.x
6. Kuo HC, Liu FL, Chen JT, et al: Thromboembolic and bleeding risk of periprocedural bridging anticoagulation: A systematic review and meta-analysis. Clin Cardiol 43(5):441-449, 2020. doi:10.1002/clc.23336
7. Douketis JD, Spyropoulos AC, Kaatz S, et al: Perioperative bridging anticoagulation in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 373(9):823-833, 2015. doi:10.1056/NEJMoa1501035
8. Goel A, McGuinness B, Jivraj NK, et al: Cannabis use disorder and perioperative outcomes in major elective surgeries: a retrospective cohort analysis. Anesthesiology 132(4):625-635, 2020. doi:10.1097/ALN.0000000000003067
Préparation le jour de la chirurgie
Le Surgical Care Improvement Project (SCIP) aux États-Unis est un projet qui met en œuvre des mesures visant à réduire la morbidité et la mortalité périopératoires. Les lignes directrices du SCIP ont été adoptées et publiées dans le Specifications Manual for Joint Commission National Quality Core Measures (Specifications Manual).
Les recommandations générales du SCIP (Specifications Manual for Joint Commission National Quality Core Measures) sont les suivantes:
Assurer un contrôle de la glycémie post-opératoire à 6 h du matin chez les patients en chirurgie cardiaque.
Utiliser des tondeuses ou des méthodes dépilatoires, pas une lame, pour enlever les poils du site chirurgical immédiatement avant la chirurgie.
Enlever les sondes urinaires au cours des 2 premiers jours qui suivent l'opération, sauf lorsque requis par des circonstances cliniques particulières.
Standardiser les choix d'antibiotiques en fonction du type de chirurgie et des facteurs liés au patient (voir Specifications Manual: Prophylactic Antibiotic Regimen Selection For Surgery et voir aussi le tableau Protocoles de couverture antibiotique pour certaines procédures chirurgicales).
Apport oral et préparation intestinale
Les recommandations de l'American Society of Anesthesiologists (ASA) concernant l'apport oral sont les suivantes (1):
8 heures en pré-opératoire: arrêter la prise de viande ou d'aliments frits ou gras
6 heures: limiter l'apport à un repas léger (p. ex., du pain grillé et un liquide clair), puis seuls les liquides clairs sont autorisés
2 heures: arrêter toute prise orale, y compris les aliments, les liquides et les médicaments
Pour certaines procédures gastro-intestinales, les lavements ou les préparations antibiotiques orales intestinales doivent être commencés 1 à 2 jours avant la chirurgie.
Liste de contrôle préprocédurale
Aux États-Unis, le Joint Commission Universal Protocol fournissant des conseils de pré-procédure de salle d'opération a été développé dans le but de prévenir les erreurs chirurgicales impliquant une erreur de patient, de procédure ou de partie du corps à opérer. Une partie du protocole consiste en un délai d'attente avant la procédure pendant lequel l'équipe confirme plusieurs facteurs importants:
Identité du patient
Vérification de la procédure correcte et de l'emplacement et du côté du site opératoire
Disponibilité de tous les équipements nécessaires
Vérification de l'administration de la prophylaxie indiquée (p. ex., antibiotiques, anticoagulants, bêta-bloqueurs)
Référence pour la préparation le jour de la chirurgie
1. Practice Guidelines for Preoperative Fasting and the Use of Pharmacologic Agents to Reduce the Risk of Pulmonary Aspiration: Application to Healthy Patients Undergoing Elective Procedures: An Updated Report by the American Society of Anesthesiologists Task Force on Preoperative Fasting and the Use of Pharmacologic Agents to Reduce the Risk of Pulmonary Aspiration. Anesthesiology. 2017;126(3):376-393. doi:10.1097/ALN.0000000000001452