Les thalassémies sont un groupe d'anémies hémolytiques microcytaires chroniques, héréditaires, caractérisées par un défaut de la synthèse de l'hémoglobine. L'alpha-thalassémie est particulièrement fréquente chez les personnes d'ascendance africaine, méditerranéenne ou d'Asie du Sud-Est. La bêta-thalassémie est plus fréquente chez les personnes d'ascendance méditerranéenne, moyen-orientale, sud-asiatique ou indienne. La symptomatologie résulte de l'anémie, de l'hémolyse, de la splénomégalie, de l'hyperplasie médullaire et, en cas de polytransfusion, de la surcharge en fer. Le diagnostic repose sur l'analyse génétique et l'analyse quantitative de l'hémoglobine. Le traitement des formes graves peut comprendre la transfusion, la splénectomie, la chélation et la greffe de cellules-souches.
(Voir aussi Revue générale des anémies hémolytiques.)
Physiopathologie des thalassémies
La thalassémie est une hémoglobinopathie qui est l'une des plus fréquentes maladies héréditaires de la production d'hémoglobine. La molécule d'hémoglobine normale de l'adulte (Hb A) est formée de 2 paires de chaînes appelées alpha et bêta. Le sang adulte normal contient également ≤ 2,5% d'Hb A2 (composée de chaînes alpha et delta) et < 1,4% d'hémoglobine F (hémoglobine fœtale), qui a des chaînes gamma à la place des chaînes bêta. La thalassémie résulte d'une synthèse déséquilibrée de l'hémoglobine provoquée par une diminution de la production d'au moins une chaîne polypeptidique de la globine (bêta, alpha, gamma, delta).
Alpha-Thalassémie
L'alpha-thalassémie est due à la production diminuée des chaînes polypeptidiques alpha en raison d'une délétion d'un ou de plusieurs gènes alpha. Les individus ont normalement 4 gènes alpha (2 sur chaque paire de chromosomes) parce que le gène alpha est dupliqué. La classification des maladies est basée sur le nombre et l'emplacement des délétions:
alpha + thalassémie: perte d'un seul gène sur 1 chromosome (alpha/-)
alpha-0-thalassémie: perte des deux gènes sur le même chromosome (--/--)
Bêta-thalassémie
La bêta-thalassémie résulte de la diminution de la production de chaînes bêta-polypeptidiques due à des mutations ou à des délétions du gène de la bêta-globine, entraînant une altération de la production d'hémoglobine A. Des mutations ou des délétions peuvent entraîner une perte partielle (allèle bêta+) ou une perte complète (allèle bêta 0) de la fonction bêta-globine. Il existe 2 gènes de la bêta-globine, et on peut avoir des mutations hétérozygotes, homozygotes ou hétérozygotes composées.
En outre, les patients peuvent être hétérozygotes ou homozygotes pour des anomalies des 2 gènes différents de la globine (p. ex., bêta et delta).
La bêta-delta-thalassémie est une forme moins fréquente de bêta-thalassémie dans laquelle la production à la fois de la chaîne delta et de la chaîne bêta sont altérées. Ces mutations peuvent être hétérozygotes ou homozygotes.
Symptomatologie des thalassémies
Les signes cliniques de toutes les thalassémies se ressemblent, mais leur gravité varie en fonction de la quantité d'hémoglobine normale présente.
Alpha-Thalassémie
Les patients qui ont un seul allèle alpha + (alpha/alpha;alpha/--) sont cliniquement normaux et sont appelés porteurs silencieux.
Les patients hétérozygotes présentant une anomalie de 2 des 4 gènes tels que deux allèles alpha + (alpha/--;alpha/--), ou un allèle alpha 0 (alpha/alpha;--/--) tendent à développer des anémies microcytaires légères à modérées, mais sans symptôme. Ces patients ont un trait alpha-thalassémique (également appelé alpha thalassémie mineure).
Les défauts de 3 des 4 gènes provoqués par la co-hérédité alpha + et alpha 0 (alpha/-; -/-) altèrent gravement la production de la chaîne alpha. La réduction de la production des chaînes alpha entraîne la formation de tétramères de chaînes bêta en excès appelées Hb H ou, chez le nouveau-né, de chaînes gamma appelées hémoglobine de Bart. Le patient qui a une hémoglobinose H a souvent une anémie hémolytique et une splénomégalie symptomatiques.
Les anomalies des 4 gènes via 2 allèles alpha 0 (--/--;--/--) induisent une maladie létale in utero (anasarque fœtoplacentaire), car l'hémoglobine qui n'a pas de chaînes alpha ne peut transporter de l'oxygène.
Bêta-thalassémie
Dans la bêta-thalassémie, les phénotypes cliniques sont classés en 3 groupes selon le degré d'altération de la production de bêta-globine:
Mineure (ou trait)
Intermedia
Majeure
La bêta-thalassémie mineure (trait) est observée chez les hétérozygotes (beta/beta + ou beta/beta 0). Ces patients sont habituellement asymptomatiques et présentent une anémie microcytaire légère à modérée. Ce phénotype peut également être observé dans les cas bénins de bêta+/bêta +.
La bêta-thalassémie intermédiaire a un tableau clinique variable qui est intermédiaire entre la thalassémie majeure et mineure, elle causée par l'héritage de 2 allèles de la bêta-thalassémie (bêta +/bêta 0 ou dans les cas graves bêta +/bêta +).
La bêta-thalassémie majeure (ou anémie de Cooley) est observée chez les homozygotes (bêta 0/bêta 0) ou hétérozygotes sévère composé (bêta 0/bêta +) et résulte d'une grave déficience en bêta-globine. Ces patients développent une anémie sévère et une hyperactivité de la moelle osseuse. La bêta-thalassémie majeure se révèle entre 1 et 2 ans par des symptômes d'anémie sévère et d'hémochromatose absorptive et post-transfusionnelle. Le patient est ictérique et des ulcères des jambes et une lithiase biliaire apparaissent (comme dans la drépanocytose). Une splénomégalie, souvent massive, est fréquente. Une séquestration splénique peut se développer, accélérant la destruction des globules rouges normaux transfusés. L'hyperactivité médullaire entraîne un épaississement des os du crâne et une saillie des os zygomatiques. L'atteinte des os longs prédispose à des fractures pathologiques et altère la croissance, pouvant ainsi retarder ou empêcher, la puberté.
En cas de surcharge en fer, les dépôts de fer au niveau du myocarde peuvent entraîner une insuffisance cardiaque. Habituellement, une hémosidérose hépatique apparaît, entraînant une altération fonctionnelle jusqu'à la cirrhose. La chélation du fer est généralement nécessaire.
Diagnostic des thalassémies
Bilan si une anémie hémolytique est suspectée
Frottis de sang périphérique
Électrophorèse de l'hémoglobine
Tests ADN (diagnostic prénatal)
Le trait thalassémique est généralement détecté lorsque le frottis sanguin périphérique et la numération globulaires complètes montrent une anémie microcytaire et un nombre élevé de globules rouges. Si désiré, le diagnostic du caractère bêta-thalassémique peut être confirmé par des mesures quantitatives de l'hémoglobine. Aucune intervention n'est nécessaire. Chez la femme, l'anémie peut être aggravée par la grossesse.
Une thalassémie plus sévère est suspectée en cas d'antécédents familiaux, de symptomatologie évocatrice ou d'anémie hémolytique microcytaire. Si une thalassémie est suspectée, des examens de laboratoire pour les anémies microcytaires et hémolytiques et des études quantitatives de l'hémoglobine (électrophorèse de l'hémoglobine) sont effectuées. La bilirubinémie, la sidérémie et la ferritinémie sont augmentées.
Les pourcentages d'Hb F et d'Hb A2 sont généralement normaux dans les alpha-thalassémies et le diagnostic de thalassémie à simple ou double défaut génétique peut être réalisé avec les tests génétiques. Le diagnostic est souvent par exclusion d'autres causes d'anémie microcytaire.
Dans la bêta-thalassémie majeure, l'anémie est sévère, souvent avec une hémoglobine ≤ 6 g/dL (≤ 60 g/L). Le nombre de globules rouges est élevé par rapport au taux d'hémoglobine, et les cellules sont très microcytaires. Le frottis sanguin est pratiquement suffisant pour le diagnostic, montrant de nombreux érythroblastes nucléés; les cellules cibles; de petits globules rouges pâles; et des granulations basophiles diffuses et ponctuées.
Dans les études quantitatives sur l'hémoglobine, une élévation modérée de l'Hb A2 n'est diagnostique que de la bêta-thalassémie mineure. Dans la bêta-thalassémie majeure, l'Hb F est aussi habituellement augmentée, parfois jusqu'à 90% et l'Hb A2 est habituellement augmentée à > 3%.
L'hémoglobinose de type H peut être diagnostiquée à l'électrophorèse par la mise en évidence d'une hémoglobine H à migration rapide ou présence d'Hb Bart. L'anomalie moléculaire spécifique peut être caractérisée, mais le résultat ne modifierait pas l'approche clinique.
Si un examen de la moelle osseuse est effectué pour l'anémie (p. ex., pour exclure d'autres causes), il montre une hyperplasie érythroïde marquée.
Les imageries effectuées pour d'autres raisons chez le patient souffrant d'une bêta-thalassémie majeure, montrent des modifications dues à l'hyperactivité médullaire chronique. Le crâne peut montrer un amincissement des corticales, un élargissement du diploé, un aspect en poils de brosse des trabécules et un aspect granuleux ou de verre dépoli. Les os longs peuvent montrer un amincissement cortical, un élargissement de l'espace médullaire et des zones d'ostéoporose. Les corps vertébraux peuvent présenter un aspect granuleux ou de verre dépoli. Les phalanges peuvent avoir un aspect rectangulaire ou biconvexe. L'imagerie thoracique peut révéler des signes d'hématopoïèse extramédullaire paravertébrale.
Le diagnostic prénatal et le conseil génétique sont une pratique courante chez les patientes présentant des fœtus à risque et peuvent guider le traitement fœtal de l'alpha thalassémie majeure.
Traitement des thalassémies
Souvent, transfusion de globules rouges avec ou sans traitement chélateur
Splénectomie en cas de splénomégalie
Transplantation de cellules-souches allogéniques si possible
Luspatercept pour le traitement de la bêta-thalassémie transfusions-dépendante
Chez les patients présentant un caractère alpha-thalassémique ou bêta-thalassémique, aucun traitement n'est nécessaire.
Dans la maladie à Hb H, la splénectomie peut être utile si l'anémie est sévère ou en cas de splénomégalie.
Le patient atteint de bêta-thalassémie intermédia doit recevoir le moins de transfusions possible, pour éviter une surcharge ferrique. Cependant, la suppression de l'hématopoïèse anormale au moyen de transfusions périodiques de culots globulaires semble justifiée chez le patient gravement atteint. Dans la bêta-thalassémie majeure, il faut transfuser selon les besoins pour maintenir l’hémoglobine autour de 9 à 10 g/dL (90 à 100 g/L) et éviter les manifestations cliniques sévères.
Pour éviter ou retarder les complications de l'hémochromatose post-transfusionnelle, l'excès de fer doit être éliminé (p. ex., par un traitement chélateur du fer, suivi de façon chronique). La thérapie de chélation est généralement débutée lorsque les taux sériques de ferritine sont > 1000 ng/mL (> 1000 mcg/L) ou après environ 1 à 2 ans de transfusions programmées. La splénectomie peut permettre de diminuer les besoins transfusionnels chez le patient présentant une splénomégalie importante.
Le luspatercept est une protéine de fusion recombinante injectable qui inhibe la signalisation de la voie du transforming growth factor beta. Dans un essai randomisé, contrôlé par placebo en cas de bêta-thalassémie, il a réduit les besoins de transfusion de 33% chez 21% des patients (contre 4,5% des contrôles). Le luspatercept est une option thérapeutique chez les patients dépendants de la transfusion (1).
La transplantation de cellules-souches allogéniques est le seul traitement curateur et doit être envisagée chez tous les patients.
Référence pour le traitement
1. Cappellini MD, Viprakasat V, Taher A, et al: A phase 3 trial of luspatercept in patients with transfusion-dependent β-thalassemia. N Engl J Med 382(13):1219–1231, 2020. doi: 10.1056/NEJMoa1910182
Pronostic de la thalassémie
Les patients souffrant d'une bêta- ou d'une alpha-thalassémie mineure ont une espérance de vie normale. Le pronostic de la maladie Hb H et de la bêta-thalassémie intermédia est variable.
L'espérance de vie est diminuée en cas de bêta-thalassémie majeure principalement du fait des complications des transfusions chroniques.
Points clés
Les thalassémies résultent de la diminution de la production d'au moins une chaîne polypeptidique de globine (bêta, alpha, gamma, delta); les globules rouges anormaux résultants sont microcytaires, souvent de forme anormale et sujets à hémolyse; l'érythropoïèse inefficace est possible due à des lésions des chaînes d'hémoglobine non appariées (ce qui provoque une anémie).
Une splénomégalie, souvent massive, est fréquente et peut entraîner une séquestration splénique qui accélère la destruction des globules rouges (y compris les globules rouges transfusés).
La surcharge en fer est fréquente en raison d'une absorption accrue (en raison de l'érythropoïèse défectueuse) et des transfusions fréquentes.
Diagnostic par l'électrophorèse de l'hémoglobine ou des tests génétiques.
Transfuser selon les besoins, mais surveiller la surcharge en fer et administrer un traitement chélateur si nécessaire.
La splénectomie peut permettre de diminuer les besoins transfusionnels chez le patient présentant une splénomégalie.
La transplantation de cellules-souches est curative.
Plus d'information
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Cooley's Anemia Foundation: fournit une éducation complète des patients et un soutien et un plaidoyer en faveur des patients atteints de thalassémie